La confession supprimée


LE ciel sur nous en aveugle dispense Maux et plaisirs ; et trop souvent le mal Dans le plateau fait pencher la balance ; Les plus heureux ont le partage égal. Un bon curé du pays de sapience Aimant le jeu, le vin et la bombance, Et, sans parler de ses autres vertus, Ne fréquentant que les gens bien vêtus, Faisait un soir à sa servante accorte Le compte exact des bons et mauvais mois : « Marque les bons, Justine, avec tes doigts, Moi les mauvais, et voyons qui l'emporte. Janvier, dit-il, a par un jour heureux Commencé l'an ; il faudrait bien des peines Pour l'effacer, c'est le jour des étrennes. Je n'ai pas bu tout le cidre mousseux Dont le voisin m'a donné cent bouteilles. Ce matin-là Perrinette aux yeux bleus Me dit : Curé, j'apporte les oreilles De notre porc, et de plus un jambon Que je vais pendre à votre cheminée. Justine, allons, pour plus d'une raison Tu dois marquer ce mois de bonne année. Passons à L'autre ; il est loin du premier. Le mal, le bien s'offrent dans février. S'il a l'odeur des trois jours gras que j'aime , Il est bientôt escorté du carême. Pour être juste il nous le faut tous deux Ne point compter et le laisser douteux. Je voudrais bien que mars fut équivoque : Pour un curé c'est la plus rude époque. Oh! quel ennui d'aller, dès le matin, Malgré le froid, au travers d'une grille, Pour écouter jusqu'au soir femme et fille Disant sa coulpe et celle du prochain. Dans ce saint mois chaque jour me chagrine, Et pour lui seul je dois mettre deux doigts. Mais c'est assez : il faut d'abord, Justine, Tâcher de rendre heureux ce mauvais mois. Voici venir ces longs jours de carême, Temps de confesse et temps d'affliction ; Ayons recours à quelque stratagème Pour obliger la dévote elle-même A renoncer à la confession. »

Dans ce dessein il monte un jour en chaire, Et dit, après une courte prière : « Mes chers enfants, l'homme, et par l'homme encor J'entends la femme, est faible de nature; Dès que le diable est chez nous d'aventure Pour nous tenter, nous cédons sans effort; De là péchés plus hideux que la mort : Un seul suffit pour d'éternelles flammes. Mais par bonheur, Dieu, l'ennemi du mal, Pour les pécheurs a fait un tribunal Qui peut d'un mot purifier les âmes. Absous d'un vol, vous n'êtes plus voleur : La jeune fille, hélas! trop confiante, Pleurant sa faute et son amant trompeur, Court à confesse et devient innocente. Mais pour jouir d'un bien si précieux Mettons de l'ordre, et tout en ira mieux. Je veux d'abord que la sainte semaine Soit consacrée à cette oeuvre chrétienne : De plus, ces jours en nombre étant égaux Aux sept péchés qu'on nomme capitaux, Chaque péché dans l'ordre que l'Eglise L'a désigné, doit seul avoir son jour, Et tous les ans revenir à son tour; Suivez-moi bien de crainte de méprise. Les orgueilleux seront absous lundi; Mardi l'envie ; il est bon que justice Aux libertins soit faite mercredi; Jeudi viendra le tour de l'avarice; A nos gourmands il faut le vendredi ; Pour la colère admettez samedi ; Et le dimanche, une heure avant la messe, Au tribunal j'attendrai la paresse. » Là le curé terminant le sermon Leur donne à tous sa bénédiction.

Le lundi saint de courir à confesse Nul n'est tenté : car, qui voudrait tout haut Dans son village accuser un défaut? Si la dévote, au détour d'une rue, Levant les yeux, aperçoit son pasteur, Vite elle passe, et craint qu'on ne l'ait vu Le jour d'envie avec son confesseur. Le mercredi, le jour de la luxure, C'était à qui fuirait loin de la cure. Dans sa maison jeudi se tiendra Jean; Jean l'économe a peur.que l'on ne dise : Voici l'avare, il se rend à l'église. Nul n'est colère, et pas un n'est gourmand. Ce bourg enfin n'avait plus aucun vice, Il ne comptait pas même un paresseux.

Le bon curé vint par cet artifice A bout de rendre un mauvais mois heureux.

<< Les inconvénients du repentir | Accueil | Les cinq layettes >>