Le curé breton


DANS l'un des bourgs de la vieille Armorique, Pour le clergé terre vraiment classique, Un desservant jeune, ignorant et vain, Plein des leçons qu'on donne au séminaire, Etait venu, muni du droit divin De repousser tout rayon de lumière Qui paraîtrait dans ce pays lointain. Tout capelan, formé par les bons pères, Aime à prêcher : le nôtre en ses sermons Mêlait comme eux les publiques affaires. Avec amour il pariait des Bourbons, De Don Miguel, ce roi si débonnaire, De Ferdinand, le modèle des rois, Dont l'Amérique a regretté les lois. Souvent la Charte excitait sa colère, Et, sans respect pour son auguste père, Il l'appelait la fille du démon, Fille en horreur à la sainte Sion, Et, si le temps devenait plus prospère, Fille à brûler par l'inquisition.

Les bas Bretons, rentrés dans leur famille, Se demandaient : « Quelle est donc cette fille Qui trouble ainsi la tête du pasteur ? C'est, disait l'un, la fille de Baptiste A qui son père a transmis par malheur Ce coin de pré que fauchait un trappiste. Ça se pourrait ; mais moi je crois plutôt Que c'est la nièce à ce bon huguenot Qui de Quintin a chassé la misère. Non , répond l'autre, un saint missionnaire L'a convertie, et depuis quelque temps Par charité soustraite à ses parents. Ne cherchez plus cette fille méchante Qui du curé dérange le cerveau, Dit un troisième ; amis, c'est sa servante : Du presbytère elle est d'hier absente, J'en suis certain, je le tiens du bedeau. »

Il se trompait : Annette au presbytère Pour ses péchés gémissait prisonnière; Son directeur, la veille des Rameaux, L'avait surprise à manger des gâteaux Malgré le jeûne. « Ah! dit-il en colère, Vous affligez l'Eglise notre mère; Sachez que Dieu devient notre ennemi Pour avoir fait une heure avant midi Ce qu'il était, sans peur de lui déplaire, Une heure après très-loisible de faire. Or çà, ma fille, il vous faut expier Ce crime énorme; il faut jeûner, prier, Afin d'aller, l'âme épurée et blanche, Au saint banquet participer dimanche. » Disant ces mots, il monte à son grenier Et met sous clef sa servante confuse. Le lendemain pour la pauvre recluse Jusqu'à midi force fut de jeûner. L'homme de Dieu ne lui porte à dîner Qu'un peu de pain, lui donnant pour excuse Qu'il faut punir son appétit glouton. Sur ce sujet il fait un long sermon. La triste Annette en l'écoutant, dit-on, Dans le pain bis marquait ses dents d'ivoire, Et du sermon chargeait peu sa mémoire. Le soir venu, sur un trop dur plancher Il lui fallut sans souper se coucher. Le lendemain, au sortir de la messe, Le curé monte et dit à son hôtesse : « Voici le pain qu'à son bon serviteur Donnait jadis le corbeau du Seigneur. La portion est aujourd'hui moins forte, Demain encor nous la diminuerons : Suppléez-y par le pain d'oraisons, » Ajouta-t-il en refermant la porte. Annette seule : « Il me fera mourir. Non sans douleur passera la journée, Et si demain ma pitance est bornée, Les jours suivants que vais-je devenir? Oui, j'en mourrai sans avoir fait mes pàques, Si tu ne viens en prison me nourrir, Notre patron , bon et vaillant saint Jacques. — Qui donc m'appelle? Annette est-ce bien toi? Dit une voix de la fille connue. On te disait de ces lieux disparue, Et cet avis m'avait glacé d'effroi. Mais, ouvre donc! — Hélas ! je suis captive, Mon cher Jacquot, dit d'une voix plaintive La pauvre Annette, et, faute de secours, Je le sens bien, j'étais morte en deux jours. — Morte ! dis-tu ? De quelle grande offense Notre curé veut-il donc se venger? — Pour mon malheur, j'ai rompu l'abstinence, Reprit la fille, et c'est par pénitence Qu'il veut huit jours m'empêcher de manger. — J'y pourvoirai, dit Jacquot, sois discrète, Dès aujourd'hui ta pénitence est faite. » L'amant joyeux court chez lui s'enfermer Pour préparer le souper de Nannette. Au Leurre frais il a joint la galette ; Et d'un jambon, ce point est à blâmer, Qu'on ne devait entamer que dimanche, Le pourvoyeur prend une forte tranche, Songeant ce soir à la dëcarêmer. Lorsque Morphée, à son heure ordinaire, Touche en passant le seuil du presbytère, Jacquot, chargé du repas savoureux, S'y rend sans bruit, et, prenant une échelle, Par la fenêtre il entre chez sa belle.

Dans le désert, en faveur des Hébreux, Quand il pleuvait un mets pétri pour eux, Ils témoignaient leur gratitude extrême : La faim passée, ils se moquaient de Dieu Et de son pain, dit Moïse lui-même ; Pour le veau d'or ils lui disaient adieu. Dans son grenier notre jeune captive, Loin d'imiter cette nation juive, A son repas ayant bien fait honneur, En fut plus tendre envers son pourvoyeur. L'amant s'en va. Seule Annette demeure, Sans s'occuper cette fois du pasteur, Ni de son pain qu'il vient à la même heure Lui présenter, mais en plus faible part. « Je l'ai, dit-il, diminué d'un quart.

— C'est trop encor, répond la pénitente, Je sens ma faute et j'en suis repentante. Pouvez-vous point, mon père, par pitié, En retrancher aujourd'hui la moitié?

— Gloire à Jésus ! dit l'homme de prière, Ma fille enfin chez vous la grâce opère. »

Elle opéra si bien avec l'amant, Qu'Annette osa refuser nettement Les jours suivants le pain du presbytère. Le bon croyant bientôt ne clouta plus Qu'elle ne fût au nombre des élus, Quand le dimanche, à la fin du carême, Ayant remis Annette en liberté, Il vit, au lieu d'une figure blême, Un teint vermeil, une fraîche santé. Il va partout en criant au miracle. Et maint dévot, sur la foi de l'oracle, Joint ce prodige à celui de Migné. La sainte Annette, en ce jour fortuné, Grâce à Jacquot, et non pas à saint Jacques, Sans être à jeun et sans avoir jeûné, Eut le bonheur de faire enfin ses pâques.

<< Le Mariage de raison? | Accueil | Le Berceau >>