Les inconvénients du repentir
UN villageois, pour régir sa maison, Prit femme jeune et servante fort sage, Belle pourtant ; Marie était son nom. La paix régnait au sein de son ménage. S'il a la paix, un époux est heureux. Il l'était donc, avant d'être amoureux, Comme Abraham, de servante jolie. Las de pain blanc, au pain bis de Marie Il veut toucher comme plus savoureux ; Mais celle-ci, que l'époux contrarie Et pousse à bout, vient d'un air affligé, Son paquet fait, demander son congé. La femme dit : « je te croyais plus sage. Toi ! Nous quitter ! Et pour quelle raison ? Ne suis-je pas facile en ma maison ? Désires-tu, ma fille, un plus fort gage ?
Pourront un jour tenter quelque garçon. Mais quoi ! Des pleurs ? Avec moi sois sincère ; Sur ce départ, Marie, expliquons-nous. Vous l'ordonnez, je ne puis plus me taire, Répond Marie : eh bien ! C'est votre époux
Qui veut de moi ce soir un rendez-vous. Plutôt mourir que de faire à madame Un pareil tort ! C'est bien, lui dit la femme ; Ton cœur est bon, je l'avais bien jugé. Mais du perfide il faut que je me venge : Cours, et dis-lui que, ton esprit changé, Pardon sonnant, tu l'attends dans la grange. - Mais quoi ! Madame, y faudra-t-il aller ? - Auparavant tu viendras me parler. » La jeune fille avec malice et grâce Fit son message, et fut tôt de retour. L'époux joyeux, ne tenant plus en place, Va jusqu'au soir promener son amour. Chemin faisant, Marie offre à sa vue Mille beautés dont il fait la revue ; A son esprit se présente, à son tour, Sa femme aussi de mille attraits pourvue. Le repentir vient frapper à son cœur ; Il le reçoit, et, content de lui-même : « J'allais, dit-il, d'une femme que j'aime, Pour un caprice, exposer le bonheur ! Le rendez-vous maintenant m'embarrasse. « Dans le moment, Jean sur son cheval passe. Jean, de son maître en secret le rival, Jeune, bien fait, gouvernait l'écurie. Lors il l'appelle, et d'un ton amical : « Voudrais-tu bien, Jean, épouser Marie ? Va dans la grange, et surtout ne dis mot : Demain matin je compterai la dot. « Le garçon part. L'autre à pas lents chemine Vers sa maison. Mais seule en sa cuisine Il voit Marie : «eh quoi ! Lui dit l'époux, C'est donc ici qu'était le rendez-vous ? Tu me trompais ? - Moi, je suis dans la grange, Et de monsieur j'attends une louange, Répond Marie ; allez plutôt y voir, Vous y pourrez faire votre devoir Avec madame et calmer sa furie. « A ce discours, le mari, stupéfait, Comme un trait part, frappe à la grange et crie : « N'y touche pas, Jean, ce n'est point Marie. Marie ou non, lui répond Jean, c'est fait ! »
Louis de Chevigné, Les Contes rémois (1827)