Le Sonneur


Cependant que la cloche éveille sa voix claire À l’air pur et limpide et profond du matin Et passe sur l’enfant qui jette pour lui plaire Un angelus parmi la lavande et le thym,

Le sonneur effleuré par l’oiseau qu’il éclaire, Chevauchant tristement en geignant du latin Sur la pierre qui tend la corde séculaire, N’entend descendre à lui qu’un tintement lointain.

Je suis cet homme. Hélas ! de la nuit désireuse, J’ai beau tirer le câble à sonner l’Idéal, De froids péchés s’ébat un plumage féal,

Et la voix ne me vient que par bribes et creuse ! Mais, un jour, fatigué d’avoir en vain tiré, O Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai.

Commentaires

  • L'un des plus ancien poème de Stéphane Mallarmé, on y sent encore "l'héritage des thèmes chers au second romantisme (Baudelaire et Gautier surtout)" (Paul Bénichou, Selon Mallarmé, Gallimard, 1995). Il paraît dans L'Artiste du 15 mars 1862 et fait partie des 10 poèmes parus dans le Parnasse contemporain de 1866.
  • A la pureté du premier quatrain, répond le dénouement du dernier tercet et sa mélodramatique pendaison. On retrouve ce thème dans Le guignon, faisant penser à la fin de Gérard de Nerval le 26 janvier 1855, retrouvé pendu dans la rue de la Vieille Lanterne à Paris. Le sonneur est la figure allégorique du poète.

Premier état du poème

LE SONNEUR

Cependant que la cloche enivre sa voix claire De l'air plein de rosée et jeune du matin, Et fait à la faucheuse entonner, pour lui plaire, Un Angelus qui sent la lavande et le thym ;

Le sonneur essouflé, qu'un cierge pâle éclaire, Chevauchant tristement en geignant du latin, Sur la pierre qui tend la corde séculaire, N'entend descendre à lui qu'un tintement lointain.

Je suis cet homme. Hélas ! dans mon ardeur peureuse, J'ai beau broyer le câble à sonner l'idéal, Depuis que le Mal trône en mon coeur lilial

La Voix ne me vient plus que par bribes et creuse. ― Si bien qu'un jour, après avoir en vain tiré, Ô Satan, j'ôterai la pierre et me pendrai !

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