La Source


Sous la fenêtre au noir grillage, Sans cesse on entend couler l’eau. On se croirait en un village Où doucement chante un ruisseau, Ou bien dans les bois, sur la mousse, Ouïr la source claire et douce Qu’aiment le pâtre et le troupeau. Ô source, coule, coule, Coule, coule toujours. Ainsi roule la houle, Ainsi tombent les jours.

La nature, féconde mère, Abreuve le tigre et l’agneau. Ils apaisent leur soif entière Sans jamais tarir le ruisseau. Le soleil est à tous les êtres ; Les hommes seuls donnent des maîtres Aux bois, à l’herbe des coteaux.

Quand la neige couvre la terre, Les loups hurlant au fond du bois, Devant leur commune misère, Ont les hasards pour seules lois. L’homme, sur la grande nature, Pour quelques tyrans la capture, Burlesque et naïf à la fois.

De toutes les sources du monde, La seule que rien ne trahit, Qui, par bouillons, s’élance et gronde, C’est le sang coulant jour et nuit, Par les monts et par la vallée. À ses quatre veines, saignée, La race humaine, sans répit,

Elle saigne, elle saigne encore. Et la goule société, Sans cesse, du soir à l’aurore, De l’aurore au soir, la dévore, Horrible de férocité. Et nul encore, sur la mégère, Afin de délivrer la terre, D’un bras assez sûr n’a frappé.

Pourtant, la fourmilière humaine Manque d’abri, manque de pain. On sait que toute plainte est vaine Des petits qui meurent de faim. Toute révolte est enchaînée. La terre semble abandonnée Au privilège souverain.

Ah ! que vienne enfin l’anarchie ! Ah ! que vienne l’égalité ! L’ordre par la seule harmonie, Le bonheur dans la liberté ! Voici se lever, sur le monde, Une époque grande et féconde, Les jours d’un séculaire été. Cesse, ô source sanglante, Coulant depuis toujours Monte, houle géante. Tombez, heures et jours !

Louise MICHEL.